Search

Baba BA, ingénieur de recherche à l’ISRA de St Louis et en thèse à l’université Gaston Berger de Saint Louis, revient sur son expérience de coordination du projet "Fracture Numérique" au Sénégal.

Depuis un an, Baba BA travaille à la coordination du projet Fracture numérique au Sénégal.

-        Bonjour Baba, merci d’avoir accepté cette rétrospective sur votre expérience pour le projet Fracture numérique. Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur votre parcours et votre formation ?

Je suis géographe de formation et je travaille sur le pastoralisme. J’ai fait mes deux premiers cycles à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. J’ai fait mon master en géographie, avec option « Espaces, Société et développement ». Dans ce cadre, j’ai réalisé mon mémoire sur la mobilité pastorale et les pratiques spatiales dans la zone sylvopastorale du Ferlo. Après ce master, j’ai effectué un stage de renforcement de capacité au Centre de Suivi Ecologique à Dakar. A partir de 2018, j’ai eu un contrat d’assistant technique dans un projet de développement mené par la Société d’Aménagement et d’Exploitation des Terres de la vallée et du delta fleuve Sénégal et de la Falémé. Ce projet visait à appuyer des communes en vue de la sécurisation foncière. En plus de l’appui technique au projet, j’ai travaillé sur les aspects de sensibilisation et de communication entre le projet, les communes et les communautés locales, car le foncier est un sujet sensible et complexe. En 2018, j’ai également commencé une thèse à l’université Gaston Berger de Saint Louis, sur la décentralisation et le pastoralisme. Ma thèse interroge les enjeux de la gestion des ressources pastorales dans un contexte de décentralisation.

J’ai commencé à travailler pour le CIRAD dans le cadre du projet Santés et Territoires. Les approches de recherche que j’y ai découvertes m’ont beaucoup plu. En 2021, j’ai à nouveau travaillé pour le CIRAD dans le cadre du projet Viability, où j’ai réalisé et coordonné de nombreuses enquêtes de terrain avec des étudiants issus de différentes disciplines (statisticiens, zootechniciens, sociologues, etc.). Quand le projet Fracture numérique a démarré, j’ai été recruté en CDD en tant qu’ingénieur d’études, basé à l’ISRA CRA de Saint Louis.

- Qu’est-ce qui vous a donné envie de postuler sur le projet Fracture Numérique ?

J’ai un vrai goût de la recherche et j’ai beaucoup apprécié les méthodes de travail du Cirad, où les avis et expériences de chacun sont plus sollicités et valorisés.

De plus, le sujet est d’actualité. Les enquêtes que j’ai menées depuis plusieurs années maintenant montrent clairement que les éleveurs s’intéressent aux outils numériques. Je suis issu de cette société pastorale et je vois bien qu’il y a un intérêt pour ces outils et leur potentiel d’amélioration de conditions de travail et de vie. 

- Quelles sont les principales activités que vous menez ? Lesquelles appréciez-vous le plus ?

Je réalise plusieurs activités. Tout d’abord, je coordonne les activités menées sur le terrain. Nous venons de finir une grande série d’enquêtes. J’ai notamment sélectionné et formé les enquêteurs qui sont partis sur le terrain (sur les méthodes d’enquêtes, les termes propres au pastoralisme et leur traduction en langue locale, etc.).  J’ai également supervisé les 3 équipes déployées sur le terrain pour lever les contraintes qu’elles ont rencontrées.

Une autre activité importante est de communiquer les résultats du projet aux collègues de l’ISRA, qui sont peu nombreux à travailler sur l’élevage.  

J’ai particulièrement apprécié de former les enquêteurs, le partage de connaissances que cela génère. Les enquêteurs ont appris grâce à la formation, mais j’ai aussi beaucoup appris à travers eux.

 

- Y a-t-il quelque chose qui vous a surpris ou marqué par rapport aux usages du numérique dans la filière et le pays que vous étudiez ?

J’ai remarqué que les sociétés pastorales utilisent les outils numériques tout comme les autres sociétés au Sénégal. Elles font pleinement partie des dynamiques d’usages croissants des outils numériques. Nous avons constaté que les pasteurs constituent un grand marché de consommateurs d’outils et services numériques. Ceci a bien été perçu par les opérateurs téléphoniques qui offrent désormais des services dans les marchés à bétail, qui se déplacent d’une ville à l’autre. Ces marchés sont bien structurés et recouvrent tout le territoire, si bien qu’on peut trouver un marché à bétail chaque jour. Les opérateurs téléphoniques s’organisent donc pour déployer dans chaque marché une équipe qui tient un stand et expose leurs différents produits (forfaits, vente de crédits, promotion). Cela attire pas mal de clientèle parmi les éleveurs.

- Quels sont les enseignements clefs de vos recherches au Sénégal ?

Nous avons constaté que la fracture numérique dans la filière étudiée ne vient pas du manque de motivation des éleveurs et éleveuses, ni du fait qu’ils n’utilisent pas les outils numériques. C’est surtout l’accès à l’électricité et au réseau qui est le facteur limitant. En effet, on note une différence entre les zones pastorales, caractérisées par un accès limité au réseau et à l’électricité, et les zones urbaines. Certains éleveurs contournent cette limite en utilisant des kits solaires mais cela reste encore rare.

Nous avons également remarqué que les jeunes sont plus nombreux à utiliser des smartphones, notamment car ils sont généralement plus alphabétisés que des éleveurs plus âgés.

Nous avons aussi observé des usages différenciés du numériques entre les hommes et les femmes. Les activités réalisées par les hommes et celles réalisées par les femmes diffèrent au sein de la filière. Dans la zone accompagnée par la Laiterie du Berger, des outils et services numériques ont été développés spécifiquement sur les activités gérées par les femmes, comme la vente du lait ou la gestion des magasins d’alimentation pour le bétail.

Au-delà de ce cas de la Laiterie du Berger, qui est spécifique car les outils numériques sont développés par cette entreprise, on voit quand même de nombreuses initiatives de partage d’informations avec les outils numériques, par exemple sur WhatsApp, même si ces initiatives sont un peu moins formalisées. WhatsApp et les outils de Mobile Money aident beaucoup le commerce de bétail à distance, sans que l’acheteur ni l’éleveur ne se déplacent. Dans certains cadres de gestion des ressources, comme les unités pastorales, on remarque également que WhatsApp aide beaucoup, notamment pour alerter sur l’irruption de maladies, sur des pannes de forage, ou encore sur le démarrage de feux de brousse.

- Selon vous, quelles seraient les actions prioritaires à mettre en place pour un usage du numérique plus inclusif ?

Il faudrait d’abord en sorte que ces communautés aient un accès à l’électricité et améliorer la couverture du réseau dans les zones reculées. Il faudrait aussi former sur l’usage des outils numériques, leurs opportunités mais aussi les risques associés. Par exemple, nous avons vu que dans certaines zones, des voleurs de bétail ont profité de la multiplication des échanges d’informations sur le pastoralisme permis par les outils numériques. Cela a accentué le vol de bétail sur certaines zones. Mais les outils numériques peuvent aussi aider les éleveurs à améliorer leurs pratiques sur de nombreuses thématiques, comme l’alimentation du bétail, l’accroissement de la production de lait ou de viande, la gestion de la biomasse, etc. Il existe notamment des vidéos sur le sujet. Je trouverais très intéressant de développer des modules de formation adaptés à ces communautés.

- Qu’aimeriez-vous faire dans votre futur professionnel ?

J’aimerais vraiment poursuivre dans la recherche. Je trouve stimulant de voir que chaque projet de recherche soulève de nouvelles questions.

Publiée : 12/12/2022